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4 mars 2013 1 04 /03 /mars /2013 00:00

 

   Lui : assis par terre au coin d’un porche, entrée d’une impasse étroite tirant droit entre deux façades au crépi sale et maladroitement taggué, attaquant entre ses mains tremblantes et noires d’errance un burger à peine sorti du Quick attenant ; un Long Bacon. Encore tiède probablement. Inscrit sur la boite qu’il a refermée et posée à côté de lui : Long Bacon, en couleurs vives et sucrées. Promesse d’un long moment de plaisir sans doute. Un ce ceux que la manche ne peut plus que miraculeusement lui offrir ; à moins que son « J’ai faim ! » hurlé certains jours en boucle sur le seuil de la porte du fast-food à chaque entrée et sortie de clients n’ait finalement convaincu, cette fois-ci. Que l’un d’entre nous en ait finalement commandé un en plus, de sandwich.

   Eux : juste derrière Lui, sapés comme des ministres, comme il est de tradition de l’être en ces occasions. Le photographe déballe le matos et se met au boulot ; concentré, tout à son job. En charge de l’album du jour, t’as qu’à voir… Sa chaussure de cuir noir vernie à quelques petits centimètres seulement de la boite en carton. Dicte les poses d’une voix claire et assurée, le couple devant l’objectif passant du glamour au classique au romantique au second degré - le mari faisant même pour une série de clichés mine de mariolle dans son costume beige au tissu souple et soyeux, l’avant-bras gauche appuyé contre le mur le moins crade, la main opposée plaquée sur la hanche, le torse bombé ; lorsque jusqu’à la caricature on s’enorgueillit ostensiblement de la qualité et de la classe un peu surfaite de son accoutrement. Photos pour la famille la chambre à coucher le salon les copains les souvenirs de vieux couple dans vingt ou trente ans, lorsque l’idylle sera devenue simple cohabitation gorgée de manies, cimentée d’indifférence et d’exaspération : il en faudra pour tout le monde, tous les goûts et ils feront plus tard tranquillement le tri ensemble.

   Lui : a de cette sauce à la couleur presque fluorescente plein les doigts et le pourtour de la bouche, larges coulées à forte tendance rosâtre sur sa barbe noire comme ses doigts, hirsute. Coulées qui rappellent d’ailleurs subtilement les tons de la boite en carton. Comme quoi, qu’il s’agisse de mariage ou de restauration rapide, rien n’est jamais laissé au hasard. Tremble beaucoup et a du mal à assurer ses bouchées. Du coup, de gros bouts de Long Bacon tombent à terre dans sa frénésie d’apparence désespérée à les engloutir, l’un d’eux et pas des moindres allant même jusqu’à se coller sournoisement sous la semelle cuir du photographe et sans même qu’il s’en aperçoive ; concentré, tout à son job. Le genre d’état d’implication ostensible et affairée dans lequel d’avoir marché dans la merde, tu ne t’en rends compte qu’une fois rentré à la maison.

   Eux : enchainent les pauses sous les ordres clairs et concis qui leur parviennent de derrière l’objectif, tout à leur bonheur bien sûr – mimiques et rigolades. Normal, pas tous les jours qu’on se marrie. Le plus beau jour de leur vie, t’as qu’à voir… La mariée est radieuse, religieusement lisse le bas du bustier de sa robe blanche de ses fines mains soignées aux fins doigts manucurés dans les règles de l’art par son esthéticienne agréée ; regarde, ébahie, la dentelle qui l’enserre comme un embonpoint vaporeux. Avec mine de ne toujours pas en revenir, en être là aujourd’hui, au bout d’un de ces rêves qu’on lui aura inculqué toute sa courte vie et à longueur de journée à grand renfort de communication musclée façon Disney ou téléréalité mais sans rien lui dire vraiment de ce qui l’attend derrière. Enfin, le plus beau jour de sa vie : t’as qu’à voir… Aucune raison de bouder son plaisir.

    Lui : regarde son bout de burger disparaître. Tend timidement la main mais beaucoup trop tard bien sûr ; trop la tremblote pour s’en saisir de toute façon. Ces derniers temps, ça en devient dramatique. Même mettre un pied devant l’autre relève de l’exploit. Et puis faire gaffe de ne pas se faire écraser les doigts. Le cuir, paraît que ça ne pardonne pas. Ne les regarde pas pour autant, les bienheureux ; pas même une seconde ne lève les yeux vers Eux. Une godasse noire cirée à la semelle de cuir frôlant constamment sa boite en carton Long Bacon et engloutissant une partie de son contenu, voilà à quoi semble se limiter pour Lui la réalité. L’imagine peut-être même un court instant, ce bout de steak, suivre durant le reste de la journée le cortège nuptial, participer à la fête, fouler la piste de danse, côtoyer les petits fours le champagne les bons vins les entrées au foie gras les plats qui en jettent la pièce montée à casser au couteau… Un court instant peut-être l’imagine, le regard vague planté dans l’asphalte ; puis recommence à manger.

    Toi : à te demander qui était là le premier. Et par quel miracle ça reste et restera encore certainement longtemps possible avec si peu de dommages finalement : vivre ensemble.

 

(texte écrit dans le cadre des vases communicants du mois de mars 2013, échange avec Christopher Selac)

Photos de mariage, Quick attenant
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24 septembre 2012 1 24 /09 /septembre /2012 00:00

 (ce matin dans ma boite mail)

 

Je chasse les avis – pour, contre, favorables, plutôt favorables, défavorables.

Les opinions.

Alors je te demande tout naturellement par spam que tu me donnes la tienne.

Enfin pas exactement donner, façon de parler : je te l’achète,  je te rémunère pour ton opinion.

Cool, non ?

Qu’est-ce que  tu en penses ? Ca te va, te faire un peu de pognon ?

Toi le clampin moyen.

Je sonde ton opinion. Je te sonde par l’opinion ; jusqu’au trognon. 

Contre un peu de pognon : ça te va ?

Allez, quoi …

C’est pas bien compliqué ; tout le monde se doit d’avoir son opinion. Bien à soi, bien privée.

Tout le monde a son opinion.

Preuve : les scores ridicules toujours, dans les Hautes Etudes Publiées Par Nous, des sans opinion.

C’est pas la majorité, hein ?! T’as aussi remarqué ?

Pour eux d’ailleurs c’est ceinture, ils repartent sans un rond.

Les cons !

S’ils ne sont pas capables en deux mots d’aligner trois impressions…

Sans opinion…

C’est bien joli, mais alors on fait de la politique comment ? Comment on scoop, comment on bosse ?

Je vais te dire, moi : aujourd’hui, t’as plus le temps d’être perplexe. Laisse ça aux parasites qui coupent toute la journée les cheveux en quatre et fais-toi ton opinion ; au plus vite et de n’importe quelle façon.

Bon alors… : la Syrie, en deux mots.

En deux petits mots dans le micro, sur le trottoir en sortant du bistrot, contre un peu de pognon ; les Roms… Alors ? La Crise, l’Euro : on en sort ou pas ? En deux mots.… Qu’est-ce que tu en penses, vite fait… Pour, contre, favorable, plutôt favorable, défavorable…. T’en dis quoi… ? Au choix.

T’as pas d’idées non plus ?

La Sécurité, tiens : t’es content ou pas ? J’ai un cadeau pour toi si tu réponds.

Bon alors… ton opinion sur la question…

Toujours rien ?

Pas une petite sous le coude afin que je puisse leur mettre un petit quelque chose sous la dent ?

On va essayer autre chose : le gouvernement… Les impôts…

T’en penses quoi ? En deux mots.

 

 

 

 

 

Votre opinion rémunérée
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22 juin 2012 5 22 /06 /juin /2012 00:00

 

Humeur 

 

 

On est dans l’ère du débat. Faut débattre. Savoir débattre, savoir se battre. Savoir parler, penser juste en temps réel, en temps compté.

Le temps du débat est fait de la texture de l’Autre, autant que de la tienne propre : un temps d’entre-deux temps qui encadre – canal artificiel dédié à la circulation du sens – les vitesses par nature différentielles de débits, de pensées.

Temps des cabines radio, plateaux télé. Temps de parole, chronométré.

Alors faut savoir imposer son sens, contrer le flux adverse. Faire d’une voie à double sens une voie à sens unique, où la Vérité est Une et n’irait que dans un sens : convaincre, ou piéger, acculer le dos contre et la lame sous le nez. Tout ramener à soi, traiter les objections comme confirmations de ses affirmations, user jusqu’aux sophismes les plus crasseux et moyens les plus lâches pour vaincre tu es dans l’arène, sur le ring médiatique pour donner du cirque intelligent aux cerveaux disponibles et gagner ton pain ; te faut la victoire, par tous les moyens.

Avoir de la répartie, valeur phare de ta vie les dieux sont chroniqueurs. Journalistes à leurs heures. Ou l’inverse.

Tu peux en être un toi aussi. Parler fort, affirmer sur tous sujets, avoir l’humour fin d’une omniscience qui peut se vouloir subitement décalée (parce que le sérieux n’est jamais aussi sérieux que lorsqu’il est capable d’un instant se relâcher en un ricanement bien grassouillet), ne jamais rendre les armes même s’il faut tout renier, savoir se battre et l’emporter. Etre le Vrai.

Combien de fois le smic en une soirée ?

Bientôt des Ecoles : The Zemmour high school of spirit fight… The Naullau Academy… Team Ruquier brodé à l’arrière des chemises au col déboutonné… And co… Dur de tous les citer : la concurrence est rude aux portes de la Pensée, aux frontières des Idées. Au programme projections d’arguments, clés de raisonnements, frappes et pointes d’esprit, souvent sous la ceinture mais tu veux l’imposer oui ou non, ton avis ?

Et combien prêts à payer pour apprendre à distiller sur leur époque et autour d’une table feutrée par le filtre des caméras et la lumière des chandeliers, coupe de champagne en bouclier, la douloureuse mais salvatrice Vérité ? Pour recevoir leur diplôme d’expert en grands airs, d’expert en tout j’ai aimé pas aimé, mon pauvre t’es nul à chier, chef d’œuvre j’ai décidé, tendances et histoire de la politique sport littérature théâtre marchés problèmes de société… choisis le domaine j’ai mes fiches je peux assurer ; sur les ondes étriquées où l’on entend toujours les mêmes, les chaînes télé, dans les journaux dans les bouquins à gros tirage qui peuplent les étals des supermarchés faut pas s’étonner : si même chez Gallimard et pour mille cinq cent euros on se met maintenant à les former, les futurs écrivains, les futurs publiés.

Tu ne veux pas payer ? Tu refuses de t’exprimer ? De donner ton avis, ton opinion sur tous sujets ? De sacrifier au débat ? Tu tournes le dos à la joute verbale, à ta potentielle fonction de maître à penser, à ta possible notoriété ?

Tu préférerais ne pas.

Débats-toi.

Loin du diktat du débat, débats-toi avec l’image du langage que sans cesse ils te renvoient.

Apprends à écrire.

Arrête de parler.

 

 

 

 

 

Débat(s-toi)
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